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 Deadman's Cross #1 - Deadmen Walking


Pour l'image ci-dessous, il s'agit d'une illustration de Marcelina (voir : Sea Witch).
Elle sera disponible dans le livre de coloriage qui paraîtra le 18 avril prochain chez Dabel Brothers Publishing.
Vous pouvez l'obtenir gratuitement en téléchargement ici : https://drive.google.com/file/d/0B5tebsZCLNhRMUlEMWFYejlPaTQ/view


 Chapitre 3


   "Est-ce que je suis le seul humain à bord de ce navire ?    
   Devyl ne cilla pas tellement à la question de Cameron alors qu'elle se plaçait juste devant lui. Si quelque chose, pouvait ennuyer le bon capitaine chez elle.  
   -Je supposes que cela dépend de la définition que l'on utilise pour humain.
   Elle lui lança un regard irrité et énervé alors qu'il répétait les mots de son quartier-maître en marmonnant. 
   -Votre sarcasme ne me fait pas rire, Capitaine.
   Il arqua un sardonique sourcil noir qui a provoqua un froid dans la colonne vertébrale.
   -Qui vous dit que je suis sarcastique ?
   C'était un effort titanesque de ne pas lever les yeux au ciel face à un homme, ou pour être plus précis une bête infernale, elle était tout à fait certaine de se faire aspirer son âme immortelle et qu’elle s’en régalerait.
   -Pouvez-vous au moins me dire pourquoi j'ai été amené à bord de ce navire, alors ?
   -Pour vous protéger.
   Pourquoi avait-t-elle du mal à croire ça ? Probablement parce qu'elle ne pouvait imaginer un groupe plus dangereux que celui qui l'entourait.
   -De ?
    Si on oubliait l'équipage, elle commençait à se demander si il pouvait y avoir quelque chose de plus mortel ou de plus terrifiant que les créatures qui appelaient ce navire leur maison.
   Il lâcha un souffle long et lent comme s'il tentait d’être patient.
   -Nous ne sommes pas vos ennemis, Mademoiselle Jack. De beaucoup, vous pouvez être rassuré. Bien que nous soyons un groupe désagréable, indésirable et non civilisé, nous ne sommes pas sans honneur.
   -Ce qui signifie ?
   -Ce qui signifie que nous réservons notre venin pour ceux qui l'ont mérité.
   Et ces mots ne l’a réconfortaient pas.
   -Pardonnez moi si de tels aveux ne me rassurent pas.
   -Inutile de s'excuser. Vous avez tout les droits de nous craindre. Comme je l'ai dit, nous sommes tous peu recommandables.
   Il tourna ses yeux sombres et sans âmes vers elle et cette fois, elle vit vraiment qu’ils étaient effectivement devenus rouges sang.
   Ils brillaient dans l'obscurité d’une lumière contre nature.
   -Et que l’on apprend à aimer".
   À son ton sinistre, elle sauta en arrière et se signa alors qu’une véritable horreur absolu l’engloutissait. Ce n'était pas ce pour quoi elle avait voulu signé quand elle s'était promis à elle-même et à Lettice qu'elle trouverait son frère et le ramènerait à la maison. Elle était déjà plus longue qu'elle ne l'avait prévu. Plus longtemps que ce Nathaniel Harrison lui pardonnerait.
   Elle n'avait pas non plus l'intention de trouver le navire du diable et son équipage pour naviguer. Il n’y avait aucun doute quant au fait que l’enfer leur était lié !
   Cher paradis, je me suis livré à la Perdition...
   Tout lui avait semblé si simple quand elle avait ouvert la lettre de son frère et s’était lancé dans cette quête. Elle devait venir à Port Royal et y poser quelques questions. Découvrir pourquoi Paden n'était pas rentré après le naufrage duquel il avait évidemment survécu. Le réprimander pour avoir été si énigmatique, puis retournez faire sa vie chez elle, avec son capricieux de frère derrière elle et laissez Lettice le battre pour son inconscience et l'inquiétude qu'il leur avait donné.
   Tout cela n'avait jamais été censé en faire partie. Et le capitaine n'était certainement pas partie du marché. 
  
   Bane se figea alors en voyant le sentiment de terreur absolue de Cameron. Elle tressaillait littéralement à ses côtés à tel point qu'il était étonné qu’elle ne mouille pas les planches sous ses pieds.
   Il y avait eu une époque où il avait vécu pour inculquer cette quantité de peur et d'intimidation aux autres. Où la vue des hommes pétrifiés avait été le lait maternel contre son cœur froid et mort. La compassion et la tendresse avaient été pratiquement inconnues de ses guerriers.
   Et pourtant…
  
   Le temps d’un seul battement de cœur, son esprit le ramena au moment où il n'avait pas été le meneur de sa race. Au moment où il avait pour la première fois pris une vie dans la bataille et où n’était rien d’autre que le frère aîné de sa petite sœur.
   Il n’était plus sur ce navire, il était de nouveau dans les prairies vertes où il avait couru jeune garçon. Comme à son habitude, il allait rejoindre ses amis pour chercher un jeu et jouer durant un rare après-midi de liberté, quelque chose pour lequel il avait travaillé et avait souffert.
   Et comme c'était typique de sa sœur, Elyzabel était sur ses talons, pauvre de lui. De cinq ans sa cadette, elle était une toute petite chose, mais elle se croyait son égale en taille et en capacités.
   "Qu’est-ce que tu fais, Du ? Pourquoi tu portes la lance de Ta ? Est-ce qu'il sait que tu l’as ? 
   -Oui, il le sait. Pourquoi me déranges-tu maintenant avec tes stupides babillages ? Va-t-en! N'y a-t-il pas quelqu'un d'autre que tu pourrais ennuyer pour une fois en dehors de moi ?
   -Tu t’es préparé à chasser ? Je peux venir ? S'il te plaît s'il te plaît !
   -Non !" Il se retournant, il avait grogné. Puis il s’était figé en voyant les nœuds dans ses cheveux bruns et la saleté sur ses joues couvertes de taches de rousseur. Plus que cela, il remarqua que sous la saleté, un bleu avait commencé à se former, approfondissant l'ombre de ses yeux ambre, et il y avait des traces de larmes sur sa robe.
   Bien que plus petite de taille, elle était toujours prête à se tenir debout avec lui, sans jamais fléchir par sa témérité chaque fois qu'il avait dit ou fait quelque chose qui l'avait mécontenté. Elle avait même osé se mettre en avant quand il était clair qu’aucun homme ne le sauverait de son père, tout en le regardant avec colère.
   Il grimaçait à chaque fois qu'elle était en colère contre lui.
   Elle avait même résisté à son père pendant durant ses pires accès de rages lorsqu’il était ivre.
   Son courage et sa fougue l'avaient toujours amusé et étonné, même s'il avait voulu l’emmurer pour ne plus l'écouter, ou se cacher quand c'était plus prudent de sa part. Durant toute sa vie, il n'a jamais aimé personne autant qu'il avait aimé sa petite sœur.
   Pas même Vine.
   Mais s'il avait pu combattre verbalement avec sa sœur chaque fois qu'elle repoussait les limites de sa patience et de son sens commun, par les dieux, personne d'autre ne pouvait le faire et personne ne devait poser la main sur elle.
   Personne.
   Même pas leur père. Et il avait les cicatrices pour le prouver.
   "Qu’est-ce que c’est ?" Demanda-t-il, le ton plus doux alors qu'il lui indiquait sa joue.
   Elyzabel détourna les yeux.
   "Ce n'est rien. Je peux venir avec toi ?
   -Elf..." La réprimanda t’elle, lui relevant le menton et changeant de ton avec elle. "Dis-moi ce qui t'es arrivé, gamine".
   Elle lâcha un long soupir avant de relever la tête et de lui avouer.
   "C'est la bête !
   -Derphin ?
   -Non. L'autre poilu que je déteste le plus.
   -Ilex ?
   -Oui ! Il a dit qu'une fille n'était pas apte à grimper dans un arbre et que je devais retourner dans les jupes de ma mère avant de me blesser. Alors j'ai escaladé l'arbre pour lui montrer, puis il m'a poussé et nous nous sommes battus.
   Ces mots l’embrasèrent.
   Il t’as frappé ?"
   Elle acquiesça.
   C'était la première fois que Devyl rencontrait cette partie de lui-même qui l'avait rendu célèbre sur le champ de bataille. Cette bête froide et déraisonnable qui ne s'arrêterait pas jusqu'à ce que son ennemi soit en morceaux à ses pieds, ou mort, ou implorant une pitié qu’il n’avait eu que pour sa précieuse Elyzabel.
   Seul Elf avait toujours retenu sa main furieuse. Seules ses larmes l'avaient pris en pitié ou mené à la compassion.
  
   Jusqu'à aujourd'hui.
   Quelque chose à propos de Cameron lui rappelait sa précieuse sœur et cette petite note toucha le dernier brin d'une humanité qu'il pensait avoir mené à la tombe avec son elfe.
   Pincez moi…
   Cameron avala avec difficulté en rencontrant le regard féroce et sanglant de Bane. Pour la première fois, elle vit un léger adoucissement sur son visage démoniaque. Un léger aperçu d’une âme sous le mal. 
   Son expression devint plus légère alors qu'il tendait une grosse main vers elle.
   "Il n'y a pas besoin de ça, jeune fille".
   Refusant de céder à sa terreur, elle se contraignit à puiser dans la force que Paden lui avait enseignée à se garder après la mort de leurs parents.
   Que personne ne voie ta faiblesse, Cam. Déjà. Nous sommes des Jacks, par Dieu. Et les Jacks ne cèdent pas et ne plient pas.
   En dedans pour un demi-pence. En dedans pour une livre sterling.
   D'ailleurs, elle devait mettre un terme à toute cette affaire. Ne pas plier maintenant. Contre vents et marées.
   Ou contre la Damnation elle-même.
   Quoi qu'il en soit. Elle n'avait pas le choix, excepter d’aller jusqu’au bout.
   "Je ne comprends toujours pas pourquoi vous m’avez amené ici, Capitaine.
   -En vérité ? Moi non plus. D’autant que je crains quelque chose d'impie a pris le contrôle de votre frère. Mon expérience avec de telles choses c’est que lorsque cela se produit et que le pauvre bâtard qui se retrouve ainsi possédé tend la main à des innocents tels que vous-même… Les conséquences sont toujours dangereuses pour le-dit innocent, surtout quand il s'agit d'une chose aussi importante que le bibelot dans votre poche.
   -Ce n'est pas une breloque sans valeur alors ?
   Le vent fouettait ses cheveux noirs et ondulés alors que ses yeux retrouvaient leur couleur d'ébène. Il regarda vers la mer orageuse qui les entourait.
   -Bien au contraire, Mademoiselle Jack. Des guerres ont été menées pour ce morceau d'or que vous gardez, et d'innombrables gorges tranchées. Ne dites à personne d'autre que vous le portez. Jamais." Il la regarda d’un air furieux. "La façon dont votre frère a réussi à obtenir ceci est ce qui me déroute le plus.
   -Il l’a eu par un courrier.
   Il la regarda bouche bée alors qu'il trouvait que c’état la chose la plus incrédule de tous. Elle tendit sa main comme un témoignage solennel.
   -Je le jure. Je pensais que ce n’était rien de plus qu’une lettre qui devait lui avoir été envoyé avant qu’il parte en voyage. Je l'ai laissé nuit après nuit avant de penser que je pourrais l’ouvrir et la lire moi-même, puis quand je l'ai fait…
   -Est-ce qu'il vous est arrivé quelque chose d'étrange au moment où vous l'avez reçu ?
   -Autre que de tous vous rencontrer ?"
   Son expression sombre disait qu'il n’appréciait pas son humour.
  
Elle adoucit sa propre expression pour lui faire savoir qu'elle plaisantait.
   -Non, Capitaine. Rien de fâcheux.
   En fait, elle n'avait pas eu autant de cauchemar depuis sa réception, ce qui était étrange étant donné qu'elle en avait déjà un certain nombre avant qu’elle ne le reçoive.
   -Très particulier, en effet.
   Cameron étrécit son regard vers lui alors qu'il continuait à regarder les eaux sombres qui les entouraient, comme s'il cherchait quelque chose qu'il ne pouvait détecter.
   -Qu'est-ce que vous ne me dites pas ?
   Le rouge revint dans ses yeux un instant avant qu'il ne laisse tomber son manteau de ses épaules de manière rapide et gracieuse, haussant les épaules sortant son coutelas.
   -Kalder ! Sur bâbord ! Sancha, vire le croupiat sur le câble d’ancre ! Ils arrivent à notre poupe!
    Il prit le bras de Cameron et la poussa doucement vers William tandis que Kalder bondissait sur le côté, plongeant dans la mer.
   -Enfermez-la dans mes quartiers pendant le combat.
   -Oui, oui, Capitaine."
   William l'attrapa rapidement et l'entraîna. Mais pas avant de voir ce qui s'élevait des entrailles des ondes stygiennes pour s’engager au combat avec eux.
   Sainte mère et tous ses saints… !

   Cameron ne pouvait pas respirer à la vue de ce qui devait être le requin de Lucifer lui-même, qu'il avait croisé avec une pieuvre. Ecailleux, énorme et tentaculaire comme rien qu'elle n’ait jamais vu ou entendu parler, il venait vers eux alors que l'équipage le visait et faisait feu avec leurs canons. Le pont sous ses pieds vibra sous le recul. Ses oreilles sonnaient après la forte détonation.
   William la poussa dans les quartiers de Bane et claqua la porte.
   Bouche bée et terrifiée, Cameron trébucha vers les fenêtres pour regarder la créature qui les en avait après eux. Qui semblait avoir apporté des amis encore plus sinistres que lui. Son cœur battait dans sa poitrine, le bruit du sang plus sourd que celui des canons, avec des cris et du vent lui remplissant les oreilles. L'odeur de la poudre à canon et de la mer la rendait nauséeuse. Jamais, jamais elle n'a jamais vu ou entendu pareil sons. De quoi donner des cauchemars et de la terreur.
   D'où elle se tenait, elle pouvait voir Kalder contre la bête, qui paraissait être minuscule alors qu’ils s’entremêlaient dans l’eau. L’homme-sirène la poignardait avec une longue lance tandis que le capitaine Bane envoyait de ses poings des boules de feu dans sa peau écailleuse. La créature criait et s'élançait sur le dos, cherchant à les atteindre de ses tentacules épineux.
   Jusqu'à ce que la bête rencontre son regard à travers le verre en plomb comme si elle l'avait senti en train de la regarder.
   Le temps parut se suspendre pendant une longue minute jusqu'à ce que la bête laisse échapper un cri perçant comme elle n’en avait jamais entendu. C'était tellement vigoureux, il était si strident, qu’il brisa le verre entre eux, qui se mit à pleuvoir sur elle.
   Fermant les yeux, elle leva les bras pour protéger son visage, tandis que les éclats s’éparpillaient. Le navire se balançait sous les vagues violentes que la créature causait.
   Nauséeuse avec cette sensation de roulement, elle s’effondra contre le bureau du Capitaine Bane. Les vents venus de la mer fouettaient contre elle, éparpillant ses cheveux libres. Avec un grondement profond, la créature alla vers elle, se dirigeant vers la cabine où elle avait saisi le bureau si fort, que le bois écorchait les paumes de ses mains.
   Dans ce moment de terreur totale et d'incroyable horreur qui lui rappelait qu'elle était sans arme ni protection, Cameron saisit son médaillon dans sa poche et se souvint de la prière que sa mère lui avait enseignée petite fille. Celui que Paden avait toujours récité avec elle chaque fois qu'elle avait peur…
   "Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole le jour. Ni la peste qui marche dans les ténèbres, ni la contagion qui frappe en plein midi. Aucun malheur ne t’arrivera, et aucun fléau ne s’approchera de ta demeure. Car il ordonnera à ses anges de te garder dans toutes tes voies. Ils te porteront entre leurs mains, de peur que ton pied ne se heurte contre une pierre. Tu marcheras sur le lion et l'aspic, tu fouleras le lionceau et le dragon. Puisqu’il m’aime, je le délivrerai. Je le protègerai, puisqu’il connait mon nom. Il m'invoquera, et je lui répondrai. Je serai avec lui dans la détresse. Je le délivrerai et je le glorifierai. Je le rassasierai de longs jours, et je lui ferai voir mon salut."
   A peine avait-elle fini ses mots, que sa poitrine et sa main commencèrent à se réchauffer… la poche où elle tenait le talisman que Paden lui avait envoyé pour sa protection si elle en avait besoin.


   Devyl recula en voyant le voile étincelant tomber sur le navire et tous les membres de son équipage. Il couvrait même Kalder dans l'eau. Un léger éclat pleuvait comme une douche de printemps. Seulement, au lieu de les mouiller, il laissait sur leur peau une lueur légère et éthérée, comme celle du charbon tenant le feu dans son obscurité.

   William et Bart se regardèrent l'un l'autre, bouche bée. Puis ils se tournèrent vers lui pour une explication qu'il ne pouvait même pas commencer à leur donner.
   "Capitaine?" Demanda Belle en se rapprochant de lui.
   Il n'avait pas non plus de réponse pour elle. Pas pour ça.
   Et encore moins pour ce qui a causé les coups et réduit ses compatriotes dans l'eau en une fine brume scintillante qui était retombée sur les vagues pour ensuite disparaître en un clin d'œil.   
   -Que se passe-t-il ?
   Comme si ce n'était pas assez choquant, une énorme vague souleva Kalder de la mer et le posa sur le pont près de la proue, comme pour s'assurer qu'il était en sûreté, avec le reste d'entre eux.
   Bouche bée, Devyl tendit son épée à Belle avant de se diriger vers la seule source qu’il imaginait capable de faire ça.
   Cameron Jack.
   Il la trouva dans sa cabine, à genoux, serrant le médaillon que son frère lui avait envoyé. Ses yeux avaient perdu toutes leurs couleurs. Ses lèvres étaient aussi pâles que son corps alors qu’elle murmurait une prière à peine audible. Même ses cheveux étaient devenus blancs.
   Les coupures bleues et sanglantes causées par les fenêtres brisées fournissaient la seule couleur sur son corps. Le plus étrange?
   Le verre flottait dans l'air autour d'elle, formant une illusion d'ailes étincelantes qui se détachaient de son dos.
   William s’approcha derrière lui et jura.  
   "Quelle sorte de créature est-elle?
   Lorsque Bart les contourna, épée levée pour l'attaquer, Devyl l'arrêta et le désarma.
   -Elle n'est pas notre ennemie, Monsieur Meers.
   Il lui rendit l'épée.
   -Qu'est-ce qu'elle est ? Demanda t’il en répétant la question de William.
   -Quelque chose qui ferait pisser de trouille ceux qui ne croient pas en nous s’ils savaient qu'elle faisait partie de notre équipage. Et qui explique beaucoup de choses sur ce qui est arrivé à son frère et pourquoi le Plate Feet a été envoyé ainsi par le fond.
   William fronça les sourcils.
   -Tu m’as perdu, capitaine."
   Devyl combla soigneusement la distance entre eux avant de prendre le médaillon de la main de Cameron. Au moment où il la détacha de son emprise, ses cheveux reprirent leur couleur châtain naturel et ses yeux redevinrent bleu-vert.
   Le verre retomba au sol où il s’était brisé et laissa échapper un petit son tintement rappelant des cloches d’un bouffon.
   Cameron cligna des yeux comme si elle se réveillait d'un profond sommeil. Avec une féroce grimace, elle jeta un coup d'œil vers eux. 
   "Les combats sont-ils terminés ?
   Amusé mais amer, Devyl lâcha un souffle fatigué en frottant son pouce contre le médaillon brûlant. L'ancienne puissance et l'âme du guerrier qu'elle contenait émanait du métal, semblable à un battement de cœur. Pas étonnant que Menyara l'ait envoyée.
   Maudite soit cette chienne fouineuse pour ça. 
   -Oui." Il jeta un coup d'œil à ses hommes par-dessus son épaule. "Il semblerait que nous devions modifier la réponse que nous avions donné à la jeune fille, Monsieur Death.
   -Deeth ... et quelle réponse, Capitaine ?
   -Il n'y a pas d'humains à bord de ce navire, aucun.
   Cameron le regarda.
   -P-p-pardon ?
   Il tenait le médaillon en face de son visage pour qu'elle puisse voir les restes de la faible lueur qu'il contenait après avoir été activé par le mal qui était venu contre eux.
   -Vous souvenez-vous de ces dernières minutes ?
   Elle fronça les sourcils en regardant autour d'elle, comme si elle cherchait une réponse avant de secouer la tête. Il lui remit le médaillon, lui referma les doigts dessus.
   -Vous êtes née d'une lignée de Séraphin, jeune fille. Et ce bibelot appartenant à votre frère en est la preuve. J'avais espéré avoir tort avec mon évaluation précédente. Malheureusement, j’avais raison.
   Il recula, envisageant ce que cela signifiait. 
  -La bonne nouvelle, c'est que vous n'avez aucune idée des origines de votre famille ... à moins que vous ayez un frère dont vos parents n'ont pas parlé, votre frère est toujours vivant quelque part... vous aviez raison à ce sujet. Ils ne l'ont pas tué, finalement.
   Cameron haleta alors que finalement l'espoir l’envahissait.  
   -Vous en êtes sûr ?
   Bane hocha la tête avant d’appuyer son menton contre son poing. 
   -Comme nous venons tout juste de le voir, le médaillon réagit à votre sang lorsque vous êtes face à une menace démoniaque. Si le capitaine Jack était mort, ceux qu’il sert vous auraient demandé de le remplacer dans ce combat. Puisque personne n'est venu pour vous, il est sans aucun doute vivant. Et ce médaillon vient de sa propre épée qu’il a, j’en suis sûr, héritée de l'un de vos parents.
   Le souffle de Cameron se coupa alors qu'elle ouvrait sa main pour étudier l'emblème de plus près. Jamais elle ne l'avait vue en la possession de ses parents. 
   -Ma mère avait une épée qui appartenait à son père avant sa mort, mais nous n'avons jamais été autorisés à aller près du coffre verrouillé où elle l'a gardait. Elle a toujours dit qu'elle la donnerait à Paden à sa mort.   
   Elle se mordit la lèvre en se rappelant quelque chose auquel elle n'avait pas pensé depuis des années.
   -Après sa mort, il ne m'a jamais laissé la voir non plus. Je n’avais plus pensé à ça, jusqu'à présent. Comme elle, il la garde avec le plus grand soin.
   -A cause de la puissance qu'elle contient, c’est une balise pour le vice. De celui qui attire le mal comme une flamme appelle les papillons. Sauf si elle est gardée dans un lieu blindée et enfermée, ce serait une menace pour tout innocent à proximité qui ignore ce qu’elle est réellement." Devyl croisa ses bras sur sa poitrine. "Votre frère doit vous avoir envoyé le médaillon Séraphin pour empêcher ses ennemis d'utiliser son épée ou de détruire l'âme de votre ancêtre. Et pour vous garder en toute sécurité en son absence. 
   -Qu'est-ce que c’est que ce Séraphin que tu as mentionné ?" Demanda William.

   Avant que Devyl puisse parler, une femme pâle et scintillante apparut au centre de la cabine. Cherchant son souffle, Cameron se détourna d'elle. Les hommes, cependant, ne cillèrent pas. Ils agissaient comme si sa présence fantomatique était normale et attendue.
   Plus belle qu'une reine fée, elle se tenait face à face avec Devyl et avait des cheveux qui ne ressemblaient à rien de ce que Cameron avait vu auparavant. Pâle et d’un brun doré, ils étaient parsemés de mèches de glace blanche - pas de gris ou tout fac-similé de gris. C'était un blanc argenté, étincelant ... comme les cheveux des fées qui tombaient en vagues et sans ornements jusqu’à sa taille. Sa robe de soie rayée noire et blanche était simple, mais richement coupée et élégante. Un col de dentelle blanche entourait son cou, et comme avec ses cheveux, des fils argentés scintillants traversaient la dentelle - une dentelle  qui décorait aussi les bords de ses manches et les ourlets.
   Pourtant, le plus curieux c’est qu'elle se tenait debout pieds nus, alors qu’elle avait le maintien de quelque grande impératrice. Manifestement, elle ne craignait pas les échardes des planches du navire.
   Et ses yeux ...
   En forme d'amande, ils étaient d'un profond brun ambré. Elle se tourna vers Cameron et lui adressa un gentil sourire. 
   "Nul besoin de me craindre, mon enfant. Je ne te veux pas de mal. 
   Devyl se dirigea vers elle. 
   -Cameron Jack, puis-je vous présenter Madame la comtesse*, Marcelina ?
   Cameron salua la noble.
   -C'est un plaisir de vous rencontrer, ma Dame.
   Marcelina sourit.
   -Je ne suis pas une dame, mon enfant. Vous avez mal compris les paroles de Du, ce qui était sans aucun doute son intention."
    Elle fit une grimace de réprimande au capitaine Bane.
   Confuse par la situation, Cameron attendit une explication. William se mit à rire tandis que Bart faisait un sourire en coin.
   Devyl lança à chacun des hommes un regard glacial avant d'expliquer le commentaire de la dame.
   -Mara est ce navire sur lequel nous naviguons, mademoiselle Jack. Notre gardien, dans tous les sens de ce mot, pour cette grande mésaventure. 
   -Pardon?
   -Peut-être que cela vous aidera ?
   Marcelina prit la pause comme la figure de proue du navire. Devant les yeux de Cameron, elle se transforma en une pièce de bois de la tête aux pieds. 
   -Sainte mère de Dieu !" Cameron se signa.
   Marcelina revint à l’état de chair. 
   "Nul besoin de paniquer, gamine. Comme le dit Du, je suis le gardien de tous ceux qui résident ici. Tant que vous serez sous ma protection, je ferais tout pour vous garder en sécurité.
   -Et vous s’assurer que vous ne vous amusiez pas du tout", marmonna Bart à voix basse.
   Le capitaine lui donna un coup de coude dans l'estomac assez fort pour qu'il n’ait pas à recommencer. 
   Secouant la tête, Cameron fit de son mieux pour comprendre tout cela, mais... 
   "Comment est-ce possible ? Comment peut-elle être le bateau ?
   Le sourire revint sur le visage de Marcelina.
   -Je viens d'une race ancienne. Nous sommes le bois et le bois est nous.
   -Ils étaient les dieux et les gardiens de la forêt", dit Devyl. "Se cachant toujours parmi l'humanité et nous causant des problèmes.
   "Je ne vous suis pas.
    Marcelina regarda Devyl.
   -Nous sommes les protecteurs…
   -Ouais, mon cul.
   -Du, s'il te plaît ! Surveille ton langage !
   -Et toi tes mensonges ! Est-ce que tu vas vraiment rester là et prêcher ça comme si je n'étais pas là ?"
   Marcelina grimaça à son attention. "Qu’en est-il des tiens ? Combien son tombés à cause de ta race et de ton armée ? Dois-je te rappeler comment nous nous sommes rencontrés ?
   -Dois-je te rappeler comment nous nous sommes séparés ? Le sang nous recouvre tout les deux !
   -Et tu es une bête déraisonnable !
   -Mieux vaut d'être déraisonnable que ...
   -Tu ne va pas oser !" Cria Marcelina en le coupant avant qu’il ne puisse l’insulter.
   Un tic féroce commença dans la mâchoire de Devyl alors que ses yeux brillaient d'un profond, rouge foncé dans la lumière faible.
   Le souffle coupé, Marcelina se tourna vers Cameron.
   "De toute façon, ma race est antérieure de plusieurs siècles à l'existence de l'humanité.
   Cameron fronça les sourcils en essayant de comprendre ce qu'ils lui disaient.
   -Alors, pourquoi on ne vous a jamais vu ? Comment ce fait-il que je n'ai jamais entendu parler de votre peuple ?
   Marcelina fit une autre grimace hostile envers le capitaine.
   -La guerre a réduit notre nombre jusqu’à la quasi extinction. Alors qu'il y avait des millions d’entre nous il y a des siècles, il n'y a en qu'une poignée maintenant. "Elle fit un geste vers le capitaine. "Du et moi-même avons vu nos destinées liées ensemble longtemps avant que le monde que vous connaissiez ait été créé. Alors, lorsqu'il a accepté cette tâche, j’y ai été forcée aussi.
   -Le prix à payer pour être une garce", murmura-t-il dans un souffle.
   Cameron ne comprenait pas son hostilité, mais au moins elle commençait à comprendre sa relation particulière avec son équipage et son bateau, et pourquoi ils parlaient comme ils le faisaient. William l'avait avertie, les choses n'étaient pas telles qu'elles semblaient l’être au premier abord.
   Elle tendit respectueusement la tête à Marcelina.
   "Alors tu es la femme du capitaine ?
   Le capitaine Bane renifla grossièrement.
   -Jamais. Je me trancherais la gorge avant.
   -Tout comme je le ferais," dit Marcelina du même ton moqueur. "Aucun de nous n’a vraiment eu le choix de son destin ou de légitimité, peu importe comment vous appeler cette parodie de fardeau que l’on partage. Elle eut un regard bien moins flatteur sur elle. "Je ne peux pas imaginer un sort plus horrible que ce dont vous parlez".
   Le capitaine Bane se mit à rire amèrement.
   "Je le peux... Être marié avec toi.
   William se détendit alors que le capitaine et Marcelina commençaient à gravir les échelons dans leur joute verbale.
   -Les ancêtres ? Vous avez des enfants ici et ça nous perturbe lorsque nos parents se battent.
   -Parle pour toi, Will", dit Bart en souriant. "Je les trouve très amusants. Surtout quand ils commencent à se lancer des choses, et se jettent l’un contre l’autre.
   Sans même un coup d'œil dans sa direction, le capitaine fit voler vers Bart un poignard qui semblait être apparu comme par magie. William l'attrapa et le prit en main.
   -Faites attention à ce genre d’apparition soudaine, capitaine. Vous pourriez le mettre dans l’œil de quelqu’un.
   -J'espérais mettre en danger la vie d’une personne avec ça.
   -Aïe, maintenant, c'est juste méchant.
   -Est-ce qu'ils se battent toujours comme ça ?" Murmura Cameron à Bart.
   Il baissa la tête en y pensant.
   -En fait, là c'est plutôt modeste pour eux. Je pense qu’ils se modèrent parce que vous êtes nouvelle, vous venez d’arriver parmi nous, ils se tempèrent un peu.
   -Quoi qu'il en soit, "dit encore Marcelina en rappelant son attention à Cameron. "Mon espèce – les Deruvian - a été presque détruite par ceux-là même que l’on cherche. Notre objectif est d’empêcher que l’humanité est le même sort. " Marcelina s'installa près de William. "Et pour répondre à votre question, monsieur Death ..." Elle dit son nom correctement "Le Seraphin a été choisi parmi un groupe d'élite de guerriers qui a combattu aux côtés de mon espèce pour la survie de ce monde. Une fois la guerre terminée, les forces cimmériennes ont refusé d'arrêter de chasser les innocents. Et ils se sont révélés plus ingénieux et résistants que les portes construites de votre côté pour les retenir hors de votre dimension. Pire encore, ils ont trouvé les moyens de battre les Séraphins gardiens jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus que trente-sept de leur ancienne grande armée. En dernier recours, et pour garder l'équilibre intact, le conseil du Sarim a fait une sombre négociation et a utilisé une magie interdite pour rendre ces trente-sept âmes immortelles, avec l'aide de mon peuple, elles les ont liées à des médaillons comme celui que vous tenez en main.
   Devyl lâcha un lourd soupir.
   -C'était un acte désespéré, mais nécessaire, car ces trente-sept derniers possédaient des compétences et des pouvoirs uniques qui prendrait des années pour être maîtrisés et appris… À condition qu'un élève apte puisse être localisé pour cette instruction. Mais plutôt que de commencer dès le début, le médaillon permet à l'âme du Seraphin de s’emparer temporairement du corps de son descendant pour combattre ses ennemis.
   Marcelina hocha la tête.
   -Oui, et ce doit être un membre de leur lignée directe pour accéder pleinement à leurs pouvoirs. Sinon, le Seraphin devient impure et donc un outil facile pour le mal. "

"Donc, chaque âme et son médaillon doivent être soigneusement surveillés et gardés pour s'assurer qu'aucun autre ne les trouve, ne les corrompt et les empêche de se lier", déclara Devyl. "Avec l'épée, l'âme se contrôle." Le capitaine prit la main de Cameron qui tenait son médaillon. "La mauvaise nouvelle c’est que maintenant que vous avez exploité le pouvoir de votre lignée, vous avez envoyé un signal à ceux qui cherchent à détruire tous les Seraphins restants. Ils n'arrêteront pas jusqu'à ce que vous soyez morte et qu'ils aient votre médaillon. 
   Cameron fit une grimace, c’était la dernière chose qu'elle voulait entendre. Mais cela amena une autre question.
   -Vous êtes un Seraphin, aussi, Capitaine ?
   En s'éloignant d'elle, Devyl rit amèrement. 
   -Non, jeune fille. J'étais la même chose contre laquelle ils ont lutté pour leur vie.
   -Je ne comprends pas.
   Le rouge revint dans ses yeux alors que son expression devenait sinistre.
   -Ne vous méprenez jamais sur le fait que je ne suis qu'une âme damnée, jeune fille. Je laisse la rédemption et la gentillesse à de meilleures personnes que moi, puisque je n’en ai aucune utilité.
   Et sur ces mots glaçants suspendus dans l'air, il les laissa.
   Quand William voulu suivre Bane, Marcelina l’arrêta "Laissez Du, monsieur Death. Il n'est pas d’humeur pour le réconfort et n'acceptera rien de plus que le sang dans son état d'esprit actuel. Croyez-moi, vous ne voulez pas en faire les frais.
  -Comme vous le dites, maman." Il inclina la tête vers elle, puis partit dans la direction opposée le capitaine.
   Bart hésitait. "Devrais-je montrer à Mlle Jack ses quartiers ?
   -Je vais l’installer. Prenez la relève de Sancha et assurez-vous que Kalder prenne son tour de garde.
   -Oui, oui, maman". Et sur ce, il partit.
   Marcelina lui offrit un sourire gentil et bienveillant. "Les hommes avaient raison. Pour une femme sans expérience pour ce genre de situations, vous prenez tout cela plutôt bien. Devrais-je m'inquiéter ?"
   Cameron glissa le médaillon dans sa poche.
   -Malheureusement, les coups durs sont plutôt la norme pour moi, la vie. Pour être honnête, ils m’étourdissent juste un peu… en fait je pense que je suis ivre plutôt que vraiment assommée par les coups.
   Elle rit. "Je peux imaginer."

   Cameron se frotta de ses bras pour chasser le froid soudain tout en essayant de s'attaquer à toutes les nouvelles informations auxquelles elle avait été confrontée. Honnêtement, tout ça lui donnait le vertige, elle faisait son possible pour s’y retrouver avec tout ce qu’elle avait entendu et vu.  
   "Puis-je vous demander quelque chose, maman ?
   -Bien sûr.
   -Pourquoi appelez-vous le capitaine Du ?
   -C'est son vrai nom. Dón-Dueli. Du ou Duel pour faire court.
   Dón-Dueli... Ce nom envoya un autre frisson dans sa colonne vertébrale. Il dénotait un sentiment maléfique plus sombre que Devyl Bane, et lui rappelait les contes que son père de sa patrie irlandaise. De la sinistre fée et de la banshee qui traquaient et s’attaquaient aux faibles la nuit.
   -Je n'ai jamais entendu parler de ce nom avant.
   -Comme moi, il vient d'une race ancienne. Mais là où mon peuple cherchait une paix tranquille, la sienne recherchait la guerre et la domination.
   -Est-il un démon ?
   -Non, mon enfant. Ce serait une excuse facile pour lui et pour son espèce, alors qu’il n'y a aucune raison qui justifie la brutalité qu'il a embrassée dans sa vie mortelle. Il se délectait dans la misère de ceux qui l'entouraient et la buvait comme du lait maternel.
   -Alors, pourquoi aide-t-il les autres maintenant ?
   -Je vous l'assure, ce n'est pas par réel choix ou pour un noble sentiment d'obligation. Il a été obligé d’accomplir cette tâche contre sa volonté pour corriger un faux pas qu'il a commis une fois.
   -Contre ?
   -Une fille comme toi. Douce. Innocente. Jusqu'à ce qu'elle le rencontre et commette l'erreur de remettre son cœur entre ses mains calleuses.
   On ne pouvait pas ignorer les nuances amers dans sa voix. Ou la haine.
   -Vous ?
   -Non, mon enfant. Ma petite sœur."
[…]

 

 


Note de traduction :
*Pour présenter Marcelina, Devyl la désigne comme "lady ship". Traduit mot à mot cela signifierait "la dame bateau", ce qu'elle est. Mais en anglais, "a lady ship" signifie surtout "Madame la Comtesse", et c'est ce que Cameron comprend alors.


Texte original © Sherrilyn Kenyon - 2017
Traduction © Dark-Hunter Francophone