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Dark-Hunter #21 - Le gardien d'Azmodea


Chapitre 3

 

    En retournant dans sa chambre, Seth s'attendait à trouver la femme sur ses gardes, prête à l'attaquer de nouveau. Au lieu de cela, elle était assise dans un coin, ses bras croisés sur ses genoux et la tête posée sur ses avant-bras. Le lent et doux ronflement lui apprit qu'elle dormait.
    Comment pouvait-elle faire ça ?
    Il n'avait pas été capable de faire davantage qu'une sieste depuis qu'il avait été libéré. Et même ces dernières venaient par à-coups très courts. Des à-coups dus au fait qu'il se réveillait en sursaut au moindre bruit ou à la moindre agitation de l'air. Réel ou imaginaire.
    Et pourtant elle était là, en plein territoire ennemi, et...
    Elle dormait.
    Profondément.
    Tu es vraiment une idiote.
    Mais surtout, elle était une curiosité enveloppée par une énigme et par la contradiction. Pourquoi ? Pourquoi avait-elle risqué sa vie et son corps pour quelqu'un d'autre ? Pourquoi était-elle venue ici ?
    Réellement.

    Avant même qu'il ne réalise ce qu'il faisait, il avait parcouru la distance qui les séparait et s’agenouillait sur le sol à côté d'elle. Son armure grinçait toujours légèrement quand il bougeait. Les longs cheveux noirs de la femme s'étalaient autour de ses épaules et ses jambes, tel un manteau éclatant. Dans cette position, elle paraissait encore plus minuscule et fragile qu'avant... Comme une petite rose noire sur son plancher. Et elle sentait la grâce. La plupart des démons avait une odeur sur eux, mais pas elle.

    Elle avait l’odeur d’un été ensoleillé qu'il n'avait pas vu depuis qu'il était un jeune garçon... en ces jours lointains où il croyait encore à la beauté et la décence. Quand il regardait vers un avenir qui, il le croyait stupidement, serait lumineux.
    Bien avant que son innocence lui soit violement arrachée puis jetée en plein visage.
    Hésitant, mais trop curieux pour arrêter, il toucha une mèche de ses cheveux qui pendait sur le côté. La douceur de cette boucle le surpris. C'était comme toucher une pétale de rose. Du moins, il pensait se rappeler qu'ils étaient comme ça.
    Lentement, il la souleva jusqu'à son nez afin de pouvoir respirer cette odeur, agréable et douce qui semblait être une partie d'elle. Oh oui... ça lui faisait penser à une maison qu'il n'avait jamais connue ou eut.
    Il ferma les yeux pour savourer le parfum, qui parcouru son sang comme du feu. Contre sa volonté, il imagina à quoi elle pourrait ressembler nue. Comment elle se sentirait une fois sous lui alors qu'il goûtait sa peau bronzée et la pénétrait.
    Non, mieux encore, au dessus de lui. Oui, c'était l'image qu'il convoitait. Avec ses cheveux soyeux chatouillant sa peau alors qu'elle le chevauchait comme personne ne l'avait fait avant. Lentement et tendrement. Avec de doux baisers qui ne faisaient pas couler le sang.
    Comme s'il représentait quelque chose pour elle.
    Ne sois pas stupide. Depuis quand es-tu devenu une vieille femme ? Le sexe était le sexe. C'était un acte bestial dont le corps avait besoin de temps en temps. Seul un imbécile absolu y mettrait de l’émotion.
    Et depuis quand le sexe était tendre ? Surtout pour quelque chose d'aussi dégoûtant que lui ? Bon sang, ce serait une chance si une femme voulait se rabaisser à coucher avec lui.  
    Lydia ne le ferait jamais.
    Cette pensée le piqua profondément. Mais c'était la vérité. La première chose qu'il avait faite une fois toute sa force revenue, fut de trouver une amante démone pour satisfaire ce qui lui avait le plus manqué – le seul plaisir que Noir ne lui avait pas prit. Il avait besoin de se libérer de la pire des façons. Mais la peau grise et pâle de la démone avait été froide et sèche, son toucher rugueux et exigeant, elle l'avait griffé et mordu jusqu'au sang. Elle l'avait même frappé à lui faire perdre certaines de ses dents. Ses cheveux étaient rugueux et cassants. Rien de tel que la douceur tiède de sa petite fleur.
    Ouvres les yeux, sšn.
    Comme si elle avait entendu son souhait silencieux, elle laissa échapper un faible soupir et se frotta la joue contre ses bras croisés. Elle cligna des yeux, puis sursauta quand elle réalisa qu'il était juste à côté d'elle. Elle s’éloigna immédiatement, de la panique dans ses yeux de topaze. À son grand désarroi, son geste avait causé la perte des cheveux qu'il tenait. Le corps de la jeune femme se tendit, prêt pour le combat, comme si elle attendait à ce qu'il s'emporte dans la violence sans aucune raison. 
    "Je..."
     Il se rattrapa avant de lui promettre de ne pas lui faire de mal. Il refusait de lui donner ce pouvoir.

    Mieux vaut être craint. Toujours.
    A l'inverse, il bougea pour lui faire face.

    Lydia se redressa dès qu’il se leva, pour aussitôt s’apercevoir que ça n'avait pas vraiment d'importance. Il la dominait encore de sa hauteur et donnait l'impression qu'elle aurait pu se glisser dans sa poche. Que les dieux lui viennent en aide s'il devenait violent. Ce ne serait pas vraiment un combat pour elle. Elle avait déjà fait de son mieux et l'avait poignardé, et il l'avait coincée si vite et si facilement qu'elle en tremblait encore. Mais elle se battrait. Tant qu'elle respirait, elle ne céderait pas sans combattre.
    Cela étant dit, il ne faisait aucun mouvement vers elle.
    Elle regarda le démon, souhaitant avoir un moyen de l'interroger. Si seulement elle avait ses pouvoirs. Elle pourrait envoyer ses pensées.
    Alors que là...
    Le mieux qu'elle pouvait faire c'était regarder dans sa direction avec haine.
    Elle essaya de signer à nouveau pour qu'il la comprenne. Mais tout ce qu'elle réussissait à lui faire faire, c'était froncer les sourcils. Quelque chose rendu encore plus sinistre encore par les lignes noires et rouges sur son visage blanc.
    "Est-ce comme ça que tu parles ? demanda t'il.
    Elle acquiesça.     
    Il lâcha un juron.
    Utilisant les mouvements d'une charade plutôt que le langage des signes, elle essaya de lui dire que s'il pouvait lui redonner ses pouvoirs, elle aurait été capable de lui parler.
    Il fronça encore plus les sourcils.
    "Quoi ? Le plafond ? Et bien quoi ?
    Elle laissa échapper un soupir de frustration et essaya de penser à un autre moyen d'illustrer ses pouvoirs. Elle agita ses bras autour d'elle comme de la fumée.
    Il grimaça de dégoût.
    "C'est ennuyeux."
    Le démon n'en avait même pas idée.
    Elle arrêta, tout en essayant de trouver autre chose pour se faire comprendre. Il devait y avoir un moyen pour qu'elle écrive...

    Avant même qu'elle cligne des yeux, il se manifesta devant elle. Sa taille immense, et le choc de son apparition soudaine devant elle, lui coupa de souffle. De loin, il avait l'air féroce. En étant si près, elle pouvait littéralement sentir ses pouvoirs. Ils étaient comme un courant électrique dans l'air qui lui faisait dresser les cheveux sur la tête.
    Face à lui, elle paraissait réellement être minuscule et ce n’était pas dû à l’armure qui le recouvrait. Il était immense.
    Ses yeux bleus la brûlaient avec une froideur si glaciale, qu'il était étonnant qu'elle ne gèle pas.
    Un battement de cœur plus tard, il passa un bras musclé autour d'elle et la prit dans ses bras. Ses yeux brillèrent un instant avant qu'il n'approche ses lèvres vers les siennes.
    Pendant une nanoseconde, elle fut surprise par la douceur chaleureuse de ses lèvres. La douceur de son étreinte pendant qu'il balayait sa langue contre la sienne, dans le plus doux baiser qu’elle n’ait jamais connu.
    Jusqu'à ce qu'elle se souvienne qu'il était un démon qui avait torturé Solin. Sa fureur grandit, elle lui mordit la lèvre avec tout ce qu'elle avait.
    Il recula en la maudissant.
   
     "Espèce de salaud !
    Lydia se figea, les yeux écarquillés, ces mots venaient de sortir de sa bouche à la place de ce souffle vide avec lequel elle s'exprimait normalement. Choquée, elle posa ses mains sur ses lèvres et sa gorge. Était-ce vraiment elle ? Était-ce à quoi ressemblait sa voix ? C'était vraiment étrange, et...
    Incroyable.
    Les yeux du démon brillèrent d'une lueur mauvaise alors qu'il essuyait le sang qui coulait de sa lèvre d'un revers de main.
    -Tu as de la chance que je ne te tue pas pour ça.
    Mais ce n'était pas sa principale préoccupation. Qu'est ce qu'il lui avait fait ? Comment avait-il pu lui donner une voix alors que personne n'avait été capable de le faire ?
    Personne.
    Pas même Solin.
    Avec un grondement sinistre, il lécha la zone où elle l'avait mordu.
    -Vous pouvez parler maintenant.
    -Comment ?
    Le son de sa propre voix la fit sursauter.

    Il frotta son pouce sur sa lèvre inférieure, puis grimaça en le voyant rouge, sa blessure saignait encore. Il était assorti aux lignes rouges qui divisaient son visage.
    "J'ai toutes sortes de pouvoirs. C'est seulement l'un d'eux.
    -C'est pour ça que vous m'avait embrassée ?
    Son regard devint encore plus glacial.
    -Pas du tout. Je ne m'étais pas encore ouvert la lèvre aujourd'hui, alors je me suis dit qu'il fallait que je remédie à ça. Merci beaucoup de me l’avoir permis.
    Son humour sarcastique la prit par surprise. Pendant un instant, elle ne le vit pas comme un terrifiant démon. Il semblait presque...
    Humain.
    Perturbée par cette pensée, elle regarda autour d'elle avec nervosité
    -Quels autres pouvoirs avez-vous ?
    Sa question fit réapparaître son côté effrayant — et de l’intérêt. Lorsqu'il parla, il grogna les mots comme le démon qu'il semblait être.
    -Prie pour ne jamais le savoir.
    Bien. S'il voulait jouer à ce jeu là...
    -Pourquoi m'avez-vous amenée ici ?
Son regard dériva vers le lit.
Elle rougit.
    -Vous pouvez oublier ça. A moins que vous soyez du genre nécrophile, ça n'arrivera jamais.
    -Nécrophile ?
    Elle se raidit, prête à l'attaque.
    -Je me tuerais avant que vous me touchiez."

    Seth resta complètement silencieux face à ses paroles, comme si elles le frappaient encore plus durement qu'un coup et le ramenait directement dans le passé.
    Toi, tas putride d'immondices, tu es inférieur à moi. Ce n’était pas ce qu’elle avait dit, mais le ton de sa voix et son indignation signifiait la même chose. Soudainement, il était à nouveau un jeune homme, dont on raillait l'incompétence.
    Repoussé.
    Humilié.
    Même pas assez bon pour être gardé. Il ressentit à cet instant ce qu'il avait ressentit à l’époque. Ecorché vif et triste face à une vérité qu'il ne pouvait nier. Il n'avait pas demandé à naître, et il était sûr de ne pas avoir demandé à être immortel. Il avait essayé d'être décent.
    Une fois. Et qu'est-ce que ça lui avait apporté ?
    D'être torturé pendant des siècles.
    Sa colère s’enflamma et il lui fallut faire un grand effort pour ne pas la frapper et la faire tomber de son piédestal doré d’où elle le regardait en baissant son nez patricien.
    Mais la seule vérité qu’il connaissait mieux que personne – la vérité avec laquelle on l’avait nourri jusqu’à ce qu’il s’étouffe avec – c’était que les mots étaient beaucoup plus douloureux que les coups physiques. Ils restaient longtemps après que les plaies aient guéris et que les ecchymoses se soient estompées.
    Les paroles prononcées tranchaient l’âme et mangeaient le cœur pour l’éternité.
     -Ne te surestimes pas, femme." Il détailla son corps du regard en souriant.
    -Je préférerais me masturber avec du papier de verre infesté de puces plutôt que de te toucher. 
    Lydia fut momentanément étonnée par son insulte crue et violente. Jamais personne ne lui avait dit une chose pareille avant.
    -Alors pourquoi suis-je ici ?" Rien d’autre n’avait de sens.
Il répondit à sa question avec une autre.
    "Pourquoi êtes vous venue pour Solin ?
Qu’est-ce qu’il croyait ?
    -Parce qu’il avait des problèmes et qu’il avait besoin que quelqu’un l’aide.  
    - Vous risqueriez votre vie pour lui ?
    Elle se moqua de sa question ridicule.
    -Je pense que la réponse est évidente. Je suis ici, non ? 
    Ça semblait beaucoup le perturber.
    -Mais pourquoi ?
    - Pourquoi quoi ?
    Son trouble s’intensifia davantage.
    -Pourquoi risqueriez votre vie pour le protéger ?
    Elle réalisa qu’il n’avait honnêtement aucune notion de ce dont elle était en train de lui parler. C’était comme s’ils parlaient encore deux langages différents.
    -Il n’y a personne que vous protégez ? 
    Fier, il campa sur ses positions.
    -Moi-même.
    - Et… 
    De vives émotions traversèrent son visage. Surprise, incompréhension, choc, et finalement il parut encore plus déconcerté.
    -Personne. Les créatures sensibles sont perfides au mieux, cruelles au pire. Aucune ne mérite une seule goutte de mon sang ou de ma sueur." 

    D’accord. C’était donc ça.
    Il était un démon, jusqu’au bout des ongles. Pas d’âme. Incapable d’apprécier ou d’aimer quelqu’un à l’exception de lui-même. Pourquoi aurait elle espérer autre chose ici ?
    "Et bien ça me dit tout ce dont j’ai besoin de savoir sur vous, n’est-ce pas ?  
    Il leva un épais sourcil peint en noir.
    -Qu’est-ce ça te dit ?
    - Que vous êtes un bâtard.
    Il ne sourit pas, mais elle pouvait dire que l’insulte l’avait amèrement amusé.
    -Nous le sommes tous, non ?
    -Non – Elle baissa sa voix en un ton inflexible - Non, nous ne le sommes pas tous. Et de loin.”

    Il retroussa les lèvres en un rire sinistre qui aurait probablement donné aux gens des cauchemars ou une attaque 
    "Et bien vous êtes une imbécile. Solin vous a déjà abandonnée. Il n’a même pas regardé en arrière quand je l’ai libéré
    Oui, et bien. Elle le connaissait mieux.
    -Vous me mentez. 
    Il leva la main pour former une espèce de brume. Puis au milieu, elle vit la pièce où aurait dû être Solin. Une pièce qui était maintenant complètement vide.
    -Tu vois ? Il est parti et pourtant tu es restée. Je te torturerais probablement et te tuerais pour être venue ici.
    Le démon mentait à son sujet… Elle refusait de s’arrêter sur cette pensée, au cas où il soit dans sa tête. Solin ne ferait jamais une telle chose. Elle en était certaine.
    -Et bien il avait une bonne raison de me laisser. 
    -Oui, il a échangé ta liberté pour la sienne.
    Il secoua la tête, refusant cette idée.
    -Je ne vous crois pas. Pas un seul mot et pas une seule seconde. 
Et elle n’en démordrait pas, même si ses instincts animales lui disaient qu’il était dans le vrai. Elle avait foi en Solin.

    Elle aurait toujours foi en lui.
    
    Seth était amusé par sa loyauté envers quelqu’un dont il était sûr qu’il ne le méritait pas. La seule chose en laquelle il croyait le plus était la volonté des autres à le blesser ou le sacrifier pour leurs propres caprices, leurs bénéfices personnels, ou leurs plaisirs.
    Comment une personne de son âge pouvait être aussi stupide et aveugle ?
    Soudain, il entendit Noir l’appeler. Si elle n’avait pas été là, il aurait grimacé. Il savait ce que son maître voulait et il savait comment le bâtard allait réagir lorsqu’il le décevrait avec son rapport.
    Encore.
    Ça allait laisser une marque…
    Mais il n’avait pas le choix. Faire attendre Noir ne ferait qu’aggraver sa punition.
    Avec un regard résigné, il fit apparaître de la nourriture sur sa table pour la femme. Il était inutile de la laisser mourir de faim puisqu’il ne savait pas combien de temps il serait parti cette fois.
    -Je vais revenir."
    Lydia allait demander où il allait, mais il partit trop vite.

    Reconnaissante de son absence, elle essaya encore une fois de trouver un moyen de sortir d’ici. Il n’y avait pas de fenêtres. Pas de placard. Juste une pièce et rien d’autre. Bizarre…
    "Qu’est ce que je fais si je dois aller à la salle de bain ?"
    Non pas qu'elle en avait envie en ce moment, mais. . .
    Un fort sifflement derrière elle la fit sursauter sur le côté. Elle se retourna et vit une porte dans le mur. Le cœur battant, elle courut vers elle, en espérant qu'elle conduise à un couloir.
    Ce qu’il y trouva l’effraya davantage. C’était une grande salle de bain étincelante avec une douche à vapeur en marbre et une baignoire sur pied. La décadence lumineuse semblait hors de propos à côté de l'austérité de la chambre à coucher. Évidemment, c’est là que le bâtard vaniteux s’offrait des plaisirs.
    Elle secoua la porte d’avant en arrière tout en réfléchissant à son apparition. Était-ce la façon dont les choses fonctionnaient ici ? Vous demandez et. . .
    -Je veux partir. 
    Il ne se passa rien.
    Allez. Ne me fais pas ça. Tu sais que tu veux me laisser sortir. Elle essaya encore.
    -Par où est ce que je m’en vais ? Qu’est ce que je dois faire si je dois partir ?"
Peut-être que la clé était dans la tournure de phrase.

    Mais là encore, elle fut déçue de ne voir aucune porte apparaître.           
    Tu ne pensais quand même pas que ce serait si facile, hein ?
    Un chacal pourrait l’espérer.
    En parlant de ça, elle essaya de prendre sa forme de chacal. Mais même cette capacité innée lui avait été prise. Elle était aussi douée qu’une humaine.
    Quelle horreur. Non pas qu’être humaine soit mauvais, mais elle n’aimait pas le sentiment de vulnérabilité. Elle aimait avoir ses pouvoirs. Tout ce qu’elle avait gardé était ses sens hyper développés.
    Au moins tu as quelque chose.
    Oh, chouette. Quelle chanceuse ! Peut-être que demain je gagnerais à la Lotterie Shirley Jackson*.
    Oui, ça serait une chance.
    -Mais tu as une voix maintenant. 
  
Elle ne put résister à l’envie de le dire tout haut. C’était si étrange d’être capable de parler après toute une vie de silence.

    La dernière fois qu’elle avait parlé…
    Elle flancha en se souvenant de l’horreur que lui avait coûté sa voix. Sa mère la lui avait prise pour lui sauver la vie. A la fin, elle aurait souhaité que sa mère l’ait laissée hurler et mourir avec eux.
    Ça aurait été un destin plus honorable. Surtout si le démon lui faisait subir ce qu’il avait fait à Solin.

    Voulant se distraire d’un passé plus que douloureux, même à contempler, et avec un avenir qui ne semblait guère mieux, elle retourna vers la chambre, où l'odeur agréable d’un repas chaud l’attendait.
    Elle souleva le couvercle orné d'argent et trouva un étrange assortiment. Des bananes frites ? Ironiquement, elle aimait ça. Avait-il choisi ça en lisant dans son esprit ? Cette idée lui faisait peur. Elle n’aimait pas l'idée de quiconque puisse lire dans ses pensées.
    Les autres plats avaient un peu plus de sens – des pâtisseries et une sorte de tourte à la viande grillée. Il y avait aussi une abondance de fruits frais et du vin. Probablement assez pour la nourrir pendant des jours. Tout avait l'air délicieux, ce qui amenait à la question : Est-il empoisonné ?
    Avec un démon, c’était impossible de savoir. Bien que pour être honnête, s’il voulait la tuer, il n’aurait certainement pas besoin de recourir à ça. Il pourrait très probablement la tuer par la pensée. Et certainement avec ses mains.
    La nourriture était sûre.
    Prenant l'assiette vide, elle la remplit, puis s’assit pour manger dans l'antre de son ennemi.
 
    "Alors ?
    Seth méprisait ce mot avec une passion furieuse. Il le classait au même niveau que l’énucléation, l'éviscération, et la castration. Il n’avait pas peur de Noir. Simplement, il savait ce que le bâtard allait faire de lui quand il répondrait, et il redoutait la douleur à venir.
    Seulement, ne me castrez pas... Le sexe était la seule source de plaisir à distance qu’il pouvait avoir ici. Malheureusement, il avait horreur de perdre.
    -Je suis proche du but, mon seigneur.
    Noir sifflait comme un serpent se préparant à frapper.
    -Proche ? N’est-ce pas ce que tu m’as dit il y a deux jours ? "
    Non, je vous ai dit de me laisser tranquille pour l'interroger, Roi Imbécile, et vous m’avez envoyé faire tant de courses de merde que je n'ai pas eu plus d'une heure pour l'interroger en 48 heures.
    Seth serrait les dents pour ne pas dire ces mots qui lui auraient valu d’être castré. Il se força à garder son regard fixé sur le sol aux pieds de Noir. S’il levait les yeux, Noir pourrait les lui arracher. Mais ce qu'il voulait vraiment c’était mourir sous les coups.
    Si seulement il pouvait. Sans ses pouvoirs il ne pouvait pas donner un seul coup avant que Noir ne l’ai coincé. Et parce qu'il avait essayé suffisamment de fois, il connaissait exactement la punition infligée pour cette stupidité en particulier.
    -J’ai enfin trouvé un moyen de le briser. Je trouverais très bientôt ce que tu veux.
    Au lieu d'apaiser Noir, il le mit dans une rage meurtrière.
    -Dis-moi franchement, ça fait mal d'être aussi stupide ? J’ai juste besoin de savoir. Vraiment ? Je pensais qu’à présent tu aurais appris ce que je fais en cas d’échec. 
    Seth s’arc-bouta lorsqu’une douleur explosa dans tout son être et son armure disparu. Dès qu'il fut nu, Noir l’envoya à travers le mur de pierre derrière lui. Il atterri tel un amas de douleur sur le sol où il essaya de reprendre son souffle, mais ça lui était impossible tant la douleur était lancinante. Noir se rapprocha rapidement et le tira par la gorge, l'étouffant d’une poigne de fer. On ne pouvait pas ne pas voir la lueur maléfique dans les yeux de Noir signifiant que ce n’était même pas la punition qu’il lui réservait.
    Tout ça c’était juste pour son plaisir.    
    Oui, la nuit allait vraiment être longue.


Note de traduction :
* Dans La Loterie, nouvelle de Shirley Jackson, le hasard désigne parmi les habitants d'une petite ville une personne qui doit être lapidée.


Texte original © Sherrilyn Kenyon - 2011
Traduction © Dark-Hunter Francophone

 

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